Le 29 mars dernier, le Conseil National a voté pour l’introduction d’une règlementation fiscale sur la cryptomonnaie. L’Administration Fédérale des Contributions (AFC) n’a pas tardé pour réagir et le 27 août, elle a publié un document de travail y relatif. Cet avant-projet, après la consultation des autorités cantonales, sera bientôt soumis au vote du Parlement. Il y est notamment question de l’imposition des entreprises de la cryptomonnaie, depuis leur démarrage jusqu’au bénéfice annuel.
La cryptomonnaie est une monnaie numérique dont le principe d’échelle de valeur est le même que celui de la monnaie traditionnelle. Elle peut ainsi être utilisée comme moyen de paiement direct, d’où son appellation « jeton de paiement ». Certains l’appellent aussi « jetons natifs » ou « native tokens » parce qu’elle est née, créée par son propre réseau de blockchain qui en détermine les règles et modalités de fonctionnement. Le Bitcoin en est un célèbre exemple, créé par la blockchain Bitcoin.
Toutefois si, auparavant, il était nécessaire de développer sa propre blockchain pour créer sa propre cryptomonnaie, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Beaucoup de nouveaux créateurs utilisent une plateforme déjà existante. Ainsi, une cryptomonnaie n’est pas forcément un « jeton natif » même si l’AFC n’utilise que ce terme dans son document de travail du 27 aout 2019.
Quoi qu’il en soit, l’AFC reconnait la valeur fiduciaire de la cryptomonnaie et la considère comme une fortune imposable, au même titre que le franc suisse. Tout détenteur de fortune en cryptomonnaie doit ainsi la déclarer pour pouvoir payer ses impôts.
Selon l’article 1 de la Loi fédérale sur l’Impôt Fédéral Direct (LHID), la Confédération perçoit un impôt sur le revenu des personnes physiques et celui des personnes morales. Le contribuable, personne physique ou entreprise, est ainsi tenu de déclarer ses gains à l’AFC.
Si un travailleur perçoit un salaire ou une rémunération sous forme de cryptomonnaie, le bulletin de salaire doit mentionner le montant converti en franc suisse au moment de la perception. Le revenu salarial étant imposable, le travailleur paiera donc des impôts en franc suisse.
Il en est de même pour la perception du loyer. Puisqu’il s’agit d’un revenu provenant de la fortune, le propriétaire doit en faire la déclaration.
Quant aux plateformes d’échanges de cryptomonnaies, elles sont considérées comme des entreprises boursières ou sociétés financières. Par conséquent, elles sont soumises sous le contrôle de la Finma (Autorité Suisse de surveillance du marché financier) et à la fiscalité suisse. Elles doivent ainsi faire une déclaration fiscale sur leurs gains et payer des impôts. Les gains en question résultent de la différence entre le prix en CHF de la cryptomonnaie au moment de la revente et celui de l’investissement de départ.
Contrairement aux monnaies courantes comme le Franc Suisse ou l’Euro, la cryptomonnaie est non soumise à l’intervention de la banque centrale. Elle a ainsi un taux de change flottant, ce qui l’expose à une grande instabilité. Compte tenu de ce caractère volatile, il est très difficile de mettre la cryptomonnaie sous un barème fiscal. La Suisse prend toutefois le défi.
Ainsi, tous les 31 décembre de chaque année, l’AFC définit la valeur fiscale des cryptomonnaies les plus courantes. Les contribuables doivent s’y référer quand ils font leur déclaration fiscale.
Il est cependant possible qu’une nouvelle cryptomonnaie ne figure pas encore sur la liste des taux de l’AFC. Pour en déterminer la valeur, le contribuable doit alors citer le montant en CHF contre lequel il a acquis cette cryptomonnaie.
Avant de remplir le formulaire de déclaration, il convient de bien différencier la fortune commerciale de la fortune privée. Les gains réalisés lors de la vente de cryptomonnaies sur la fortune privée sont exonérés d’impôt sur le revenu. Par contre, les gains provenant d’une fortune commerciale permettent de calculer l’impôt sur le revenu.
Les raisons individuelles font souvent face à une confusion et qualifient de « revenu imposable » ce qui devrait appartenir à la fortune privée. Quand vous prenez une partie de votre fortune commerciale pour l’ajouter dans votre fortune privée, cet apport doit être imposable. A l’inverse, un prélèvement de la fortune privée vers la fortune commerciale peut être déduit lors de la déclaration d’impôt.
La fortune commerciale englobe les revenus obtenus par des activités lucratives comme le minage (création de cryptomonnaies) et le commerce régulier. Ce dernier se traduit principalement par :
La liste n’est pas exhaustive. Au cas où vous voulez plus de précision sur la nature de votre fortune, vous pouvez consulter sur le site de l’AFC le circulaire n°36 intitulé « Commerce professionnel de titres. »
Notons toutefois que dans une déclaration d’impôt, la fiscalité ne se contente pas de savoir combien de cryptomonnaie vous possédez. Vous devez également en mentionner la provenance. Ceci est d’autant plus crucial si vous avez effectué une levée de fonds pour développer votre entreprise. Le projet fiscal, en effet, prévoit des mesures spécifiques à ce sujet.
Avec l’apparition de la technologie Blockchain, il n’est plus difficile pour beaucoup de start-ups de trouver un financement rapide. Il leur suffit de créer des jetons ou « tokens » pour collecter des fonds en quelques minutes. Ce type de financement est appelé ICO ou ITO (Initial Coin/Token Offering).
Lors d’une ITO, l’entreprise vend des jetons contre de la cryptomonnaie mais il est également possible d’utiliser du Franc suisse ou toute autre devise étrangère. Ceux qui achètent ces jetons pourront ensuite acquérir des droits financiers ou utiliser le service de l’entreprise :
Toutefois, il existe également des jetons hybrides qui donnent à leur détenteur un double droit : l’actionnariat et l’utilisation d’un service.
Les jetons d’investissement proposés par l’entreprise ciblent plusieurs profils d’acheteurs. Ainsi, les jetons de capital étranger sont proposés aux prêteurs, les jetons de capital propre visent des actionnaires tandis que d’autres équivalent à des instruments financiers dérivés.
Quoi qu’il en soit, les jetons d’investissement sont tous des jetons de financement. Et comme « finance » et « fiscalité » vont de pair, ils ont des conséquences fiscales envers leur émetteur (l’entreprise) et leur détenteur (l’investisseur).
Lorsqu’une entreprise a recours à un important emprunt financier pour démarrer son projet, il propose des jetons de créance. Ces actifs numériques, également appelés jetons de capital étranger, donnent au créancier le droit d’être remboursé avec un certain taux d’intérêt, sur un long ou court terme.
Pour vous faciliter la lecture, ci-dessous un tableau qui résume l’encadrement fiscal de ce type de jeton :
Jetons de capital étranger | Émetteur | Détenteur |
Impôt sur la fortune | Les fonds levés ne sont pas imposables. | Les jetons sont des capitaux mobiliers soumis à l’impôt cantonal sur la fortune. |
Impôt sur le revenu ou bénéfice |
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Impôt anticipé | Les intérêts versés sont imposables. | Les intérêts perçus sont imposables. |
Droit de timbre |
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Ces actifs numériques représentent les parts financières apportées par les investisseurs pour constituer le capital propre d’une entreprise. Ceux qui détiennent ces jetons ont le droit de percevoir une part du bénéfice et/ou du produit de liquidation.
Leur système d’imposition peut se résumer ainsi :
Jetons de capital propre | Émetteur | Détenteur |
Impôt sur la fortune | La fortune commerciale est imposable | Les jetons sont soumis à l’impôt cantonal sur la fortune. |
Impôt sur le revenu / Impôt sur le bénéfice |
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Les gains ne sont pas imposables et les pertes ne sont pas déductibles.
Les gains sont imposables et les pertes non comptabilisées ne sont pas déductibles. |
Impôt anticipé | Les jetons ne sont pas imposables, mais l’AFC peut exiger l’impôt anticipé si :
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La perception de la part du bénéfice n’est pas imposable. |
Droits de timbre | Aucun droit de timbre ni sur l’émission, ni | Aucun droit de timbre de négociation (sauf si les jetons se rapportent aux documents imposables au sens de la loi fédérale). |
Les jetons de participation sont des instruments financiers dérivés. Leur valeur dépend de la fluctuation d’un actif sous-jacent (devise, matières premières, etc.)
Ils font également l’objet des impôts sur la fortune et le revenu :
Jetons de participation | Émetteur | Détenteur |
Impôt sur la fortune | Les jetons sont soumis à l’impôt cantonal sur la fortune. | |
Impôt sur le revenu / Impôt sur le bénéfice |
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Si les jetons proviennent de la fortune privée, les gains ne sont pas imposables.
Si les jetons proviennent de la fortune commerciale :
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Impôt anticipé | Pas d’impôt anticipé. Même règlement que les jetons de capital propre. |
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Droits de timbre | Aucun droit de timbre sur l’émission des jetons. | Aucun droit de timbre sauf si les jetons se rapportent aux documents que la loi fédérale qualifie d’imposables. |
Les jetons d’utilité, ayant une valeur de marché, sont considérés comme des capitaux mobiliers.
Jetons d’utilité | Émetteur | Détenteur |
Impôt sur la fortune | Impôt cantonal sur la fortune | |
Impôt sur le revenu / Impôt sur le bénéfice | Les fonds collectés sont imposables. | Les gains ne sont pas imposables si les jetons sont issus de la fortune privée.
Si les jetons proviennent de la fortune commerciale :
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Impôt anticipé | Le droit d’utiliser les services numériques n’est pas imposable. | |
Droits de timbre | Aucun droit de timbre |
Le document de travail de l’AFC reste muet sur ce point. Toutefois, par analogie à la monnaie courante, certains principes peuvent être applicables.
Les jetons de paiement, qui sont de la monnaie pure, sont exclus de TVA quand vous les échangez contre un Franc Suisse ou une devise étrangère.
Les jetons d’investissement, notamment les jetons de participation, bénéficient également d’une exemption de taxe car ils ne représentent que des apports d’instruments financiers.
Les jetons d’utilité, quant à eux, permettent l’utilisation d’une application ou service. A cet effet, ils sont normalement soumis à la taxation des services imposables.
Dans le cas où un jeton donne à la fois un droit financier et un droit d’accès, sa taxation doit être analysé au cas par cas. La TVA s’applique, en effet, si le service qu’il confère est imposable.
A noter que :
Les informations mises à disposition dans cet article ne sont pas exhaustives. Il se peut aussi que le document de travail de l’AFC, auquel nous nous référons, soit modifié au cours du processus de consultation.
Pour plus de précision sur le traitement fiscal des ITOs ou ICOs, nous sommes à votre disposition. N’hésitez pas à nous contacter.